EZAGUN/EZAGU-TU “connaître, reconnaître,
connu”, “connaissance” dans le sens “d'identification”
et non de “savoir”, de “connaissance acquise” qui
relève de la famille de JAKIN, IKAS,
ERAKATZ. Exemple « BERROGOI URTE IGARO-TA EZAGUTU NAU : il m'a reconnu après quarante ans (de séparation) » ; « BELAJOA ZERTARIK ZEN EZAGUTU DU : il a reconnu (diagnostiqué) l'origine de l'intoxication » ; « HAURRA BEREA ZELA EZAGUTU DU : il a reconnu que l'enfant était de lui. » TOVAR & AGUD affirment d'emblée : « romanismo señalado ya por Sch. [...] como relacionado con las formas gasc. sagut/saugut, prov. sabut/saubut, de un lat. vulg. *saputu de sapiō », invoquant l'appui de R. LAFON et de L. MICHELENA. Ils considèrent risqué le rapprochement avec lat. sagax, sagire (HOLMER). En effet, lat. saga “sorcière”, et « sagire sentire acute est » Cic. Din. 1, 31, 65., A. MEILLET 589. Quant aux verbes sapiō et sapere, ils ne sont pas représentés en roman et signifient “avoir du goût, de la saveur (ou du parfum)”, au surplus, et en aucun cas “connaître, reconnaître, etc.”. Pour la forme, ils ne tiennent pas compte de la nasale de EZAGUN, pas plus que du /e/ initial, mais c'est la méconnaissance du préverbe /*ZA/ qui aiguille les rapprochements dans la mauvaise direction, à notre avis. Une comparaison rigoureuse de formes et de sens nous dirige vers lat. nōscō, gnotu, cognitu “je commence à connaître, j'apprends à connaître, je prends connaissance”, et gr. γιγνώσκω (gignṓscō), Chtr. 224 : « présent à redoublement et à suffixe -σκω [-skō] (cf. didáskō, etc.) [...] aoriste ἔγνων (égnōn) [...] Sens au terme du présent : “apprendre à connaître à force d'efforts”, cf. Il. 23, 469 sq. οὐ γαρ... ευ διαγιγνώσκω (ou gàr... eú diagignṓskō) etc. ; à l'aoriste “reconnaître, discerner, comprendre, etc.” (Hom., ion.-att., etc.). Nombreux exemples avec préverbes exprimant des précisions variées. »... dont, parmi d'autres διά- (diá-) ![]() ![]() Le gr. d'Épidaure a γνώσκω (gnṓscō), sans redoublement, comme lat. nōscō, l'aoriste ἔγνων (égnōn), ancien certainement, et à l'origine de tout le système, skr. jñeyā́ḥ = gr. γνοίης (gnoíēs), γνωτός (gnōtós) et lat. notus, skr. jn̄ātá, skr. jaj̊nau et lat. nōvī... Toutes ces formes ont une racine thème II réduite. Le thème I plein du bsq. /-GUN/ [avec augment /e/ + διά-/ζα- (diá-/za-) + /GUN/, équivalent de l’aoriste ἔ-γνων (é-gnōn)] apparaît dans germ. gon-, got. kann “connaître”. Chtr. 224, 225 : « Le développement phonétique du verbe a été gêné par l'homonymie de γιγνομαι (gignomai) “mettre au monde” dont le seul /o/ bref fait la différence. [...] Le suffixe /-σκω (-skō) exprimant la réalisation du procès par efforts répétés ». Ceci intéresse beaucoup le bsq. qui prétend l'interpréter car très répandu dans la langue : GALDEZKA “en questionnant”, ORDEZKA “en représentant de”, BEDERAZKA “un à un”, ALDIZKA “à tour de rôle”, etc., mais le /z/ (/EZ/ instrumental, cf. lat. /ex/) précédant le dernier suffixe /-KA/ d'itération s'amuït facilement par économie d'effort phonétique (cf. par exemple andalou “ocuro” pour “oscuro”), sauf dans les cas où il y aurait risque de complications homonymiques à supprimer la sifflante : BIRAZKA “deux par deux”, mais *BIRAKA “en virant” et GALDEZKA se dédouble déjà par GALDEKA, mais non ORDEZKA par *ORDEKA. Le suffixe gréco-latin /-skō/ résulte, semble-t-il, d'une ancienne base surdéclinée /-EZ/ (instrumental lat. /ex/, cf. ex aure = URREZ = “d'or”, “en or”) et /-KA/ d'itération, d'efforts répétés + /O/ de thématisation + /O/ désinence pronominale de 1ère personne = /ω/ = /ō/ = /oo/. Soit gignōscō “je parviens à reconnaître, je suis en train de reconnaître”. EZAGUN est une forme témoignant d'un passé bien différent du proto-basque par rapport à l'euskera historiquement attesté et l'idiome actuel. Elle a la même structure que les formes grecques classiques, sauf que l'augment (il ne peut s'agir d'autre chose) /e/ est placé avant le préverbe au lieu qu'en grec, généralement, l'augment s'insère entre le préverbe et le verbe, excepté lorsque la forme préfixée n'est plus sentie comme telle. Remarque : ce type de morphologie et ce modèle de conjugaison ont connu une évolution telle dans la langue, que personne n'en a la moindre conscience. La conjugaison périphrasique à peu près généralisée est certes lourde, mais plus simple à maîtriser. Voir IGURZI, EHORTZI, IKUSI et beaucoup d'autres. Les auxiliaires prennent en charge les marques de passé à augment : exemple EZAGUTU G-EN-U-EN “nous (le) connûmes” et la redondance de fait : /E(N)-/ de EZAGUTU + /EN/ de l'auxiliaire avoir, est intensifiée encore par le redoublement de la désinence-augment de l'auxiliaire G-EN-U-EN. Le gr. et le skr., parfois le lat., pratiquent le redoublement partiel du radical verbal, cf. λελῡ̀κα, κεκύηκα (lelūka, kekúēka), cecidī, etc. Mais le même dédoublement de la désinence-augment a laissé des traces en gr. : ἔ-λυον (é-luon) “je déliais”. En fait, les grammairiens distinguent le /e/ initial : augment, et le /n/ terminal : désinence secondaire (d'imparfait). Mais les formes correspondantes du basque suggèrent une répétition du même morphème /EN/ encadrant le radical verbal, peut-être dans le grec aussi :
L'augment est défini comme une particule de phrase à l'origine autonome, ensuite soudée au verbe. Le /EN-/ de bsq. pourrait être un adverbe de temps signalant le moment, le point de l'axe du temps auquel se situerait le procès : cf. ENGOITIK de /EN-/ /GOITIK/ “désormais”, “en remontant de /EN/”, soit approximativement “alors” ; comme l'i.-e. /i/ désinence primaire (présent) signifie “hic et nunc = ici et maintenant” (cf. A. MARTINET, Évolution des langues, 93 et sq.). Ainsi le passé duratif résulterait d'une périphrase : « N'EN-GO-EN = *MOI/JE ALORS DEMEUR- ALORS = "je demeurais" » Mais les formes grecques et latines se brouillent et occultent la “désinence” recouverte par les marques personnelles, sauf aux 1ère, 4ème et 6ème personnes du grec, tandis que le basque antépose ces marques aux temps du passé et présente le paradigme net. La tendance à la “simplification” périphrastique du système verbal peut s'expliquer par le sens général de l'évolution des langues i.-e. vers des conjugaisons composées, sans qu'aucune autre conserve le degré de généralisation du bsq. Le phénomène “d'usure” des langues fait qu'à l'usage l'expression perd de son acuïté malgré l'appui des mécanismes mot-syntagme : on finit par ajouter des sédiments successifs de flexions diverses ou de suffixes expressifs, d'auxiliation, de redoublement... et la langue passe par les états successifs jusqu'à ne plus ressembler au modèle ancestral. |
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